Seraphiel est une énigme incarnée dans une chair trop parfaite pour être tout à fait humaine.
Sa silhouette est élancée, presque évanescente dans certaines lumières, comme si son corps hésitait à peser pleinement sur le monde. Droit sans raideur, gracieux sans affectation, chaque geste semble mesuré au millimètre, chaque regard pesé comme une phrase qu’il ne prononcera peut-être jamais. Il a la démarche de ceux qui n’ont pas besoin de hâter le pas, parce qu’ils savent qu’ils seront toujours à l’heure pour dire ce qui doit être dit — ou frapper là où cela comptera.
Son visage est un chef-d’œuvre de contrastes maîtrisés.
Des traits fins, presque elfins, mais plus froids, plus rigides dans leur perfection. Des pommettes hautes, des lèvres pâles et délicatement dessinées, légèrement ourlées comme si un sourire y avait été scellé puis oublié. Une mâchoire douce, mais assez marquée pour ne jamais paraître fragile. Il ne ressemble ni à un homme, ni à une femme, ni même à un être que l’on puisse définir par des termes simples. Il est le masque d’un idéal : celui de l’ordre, du contrôle, de l’équilibre absolu.
Sa chevelure, d’un noir profond strié de longues mèches blanches ou argentées, évoque à la fois la nuit et l’aube.
Elle est longue, fluide, disciplinée mais jamais figée : elle glisse sur ses épaules, ondoie dans son dos, comme animée d’une volonté propre. On ne sait jamais si ces mèches claires sont naturelles ou marquées par quelque rituel, mais elles semblent capter la lumière comme le métal froid d’une lame. Parfois, quand il s’immobilise sous la pluie ou dans la lumière vacillante d’un sanctuaire, sa chevelure se plaque sur sa peau comme un voile funéraire inversé.
Ses yeux sont la partie la plus saisissante de son être.
D’un bleu cendré presque translucide, ils ne brillent pas — ils absorbent. Ils regardent comme un scalpel tranche : sans violence, mais sans échappatoire. Il ne fixe jamais longtemps quelqu’un sans raison ; mais quand il le fait, c’est comme si le silence se tendait autour de lui. Il n’y a pas de jugement dans son regard — seulement un constat, glacé, inévitable.
Sa peau est pâle, comme travaillée dans l’ivoire ou le marbre, sans aucune imperfection. Elle n’a ni la chaleur d’un être vivant, ni la rigidité d’un cadavre : elle est simplement autre. Ses mains sont fines mais nerveuses, couvertes de veines discrètes, aux ongles propres et bien taillés. Ce sont des mains qui n’ont jamais tremblé, même quand elles ont dû appuyer sur la détente.
Il porte généralement une longue veste noire renforcée, boutonnée jusqu’au col, d’un tissu mat légèrement renforcé de plaques discrètes sous les manches ou le buste. Des filigranes argentés et discrets serpentent le long des coutures — pas pour faire joli, mais pour commémorer des serments, des fautes expiées, des pactes conclus.
À sa ceinture, un étui renforcé abrite son arme : une arme à feu élégante à canon allongé, gravée de lignes fines et nettes, qu’il appelle Voix de la Sentence. Il n’en parle jamais. Il la nettoie tous les soirs, en silence.
Seraphiel Vesper est un homme difficile à lire, et pourtant, on comprend immédiatement une chose en sa présence : il est là pour une raison. Il ne parle pas pour se faire entendre, ne bouge pas pour attirer le regard. Tout, en lui, respire le contrôle — pas celui qu’on exerce sur les autres, mais celui qu’on s’impose à soi-même. Il incarne une forme de rigueur silencieuse, un détachement calme qui ne se pare d’aucune illusion de supériorité. Il ne cherche pas à être craint, respecté ou aimé. Il est un point fixe dans un monde mouvant. C’est tout.
Il se tient toujours droit, non par orgueil, mais par habitude, comme s’il avait été sculpté ainsi. Il ne fuit jamais les yeux qu’on pose sur lui, mais ne les réclame pas non plus. Sa manière de regarder est méthodique, presque chirurgicale, comme s’il pesait le poids de vos mots avant même qu’ils aient franchi vos lèvres. On ne sait jamais s’il juge, ou s’il se souvient. Il parle peu, mais quand il le fait, ses mots sont nets, exacts, déposés comme des pièces sur un autel — ou des pierres sur une tombe.
Seraphiel ne cherche pas à imposer sa volonté. Il agit quand il le faut, jamais avant, jamais après. Il ne brandit pas sa foi comme une arme, mais elle est partout dans ses gestes. Il ne prie pas, ne cite aucun verset. Pourtant, chacun de ses mouvements est une prière muette à l’ordre, à la structure, au serment tenu. Sa fidélité à Eiseth est aussi mécanique que spirituelle : une équation parfaite entre la fonction et la foi. Il ne la sert pas avec passion, mais avec exactitude. Il n’est pas un croisé, ni un apôtre. Il est le garant du poids des pactes, le témoin de ce qui fut dit, juré, trahi. C’est là toute sa vocation : maintenir l’équilibre, même au prix de sa propre chaleur.
Il n’est ni cruel, ni tendre. Il ne tue jamais dans l’instant, et encore moins dans la haine. Lorsqu’il abat quelqu’un, ce n’est pas un acte de punition, mais de stabilisation. Comme un artisan redresse une pièce fêlée, ou élimine une imperfection pour préserver l’ensemble. Il ne frappe pas parce qu’il le peut, mais parce qu’il l’a pesé. Parce qu’il le doit.
Et pourtant, au fond de cette retenue, on devine autre chose. Une mélancolie. Une forme de lucidité trop ancienne pour encore faire mal, mais qui n’a jamais vraiment guéri. Seraphiel a vu des pactes brisés. Des regards détournés. Il a vu la beauté se fendre, la foi être instrumentalisée, l’ordre devenir excès. Il a choisi de rester debout, non parce que c’est juste — mais parce que quelqu’un doit encore incarner ce que cela signifie. Il est seul, souvent. Mais ce n’est pas une solitude subie. C’est une place qu’il occupe, pour qu’elle ne soit pas laissée vide.
Quand il accorde sa loyauté, elle ne se donne pas — elle se construit. Elle ne se dit pas — elle se manifeste. Un regard. Un silence. Une action. Il ne demande rien en retour. Il veille. Il ajuste. Il corrige. Et parfois, il se tait un peu plus longtemps, quand l’équilibre vacille, parce qu’il espère encore que quelqu’un d’autre s’en rendra compte à temps.
Il ne se croit pas exceptionnel. Il ne se croit pas meilleur. Mais il sait exactement ce qu’il est. Une mémoire vivante. Une voix posée entre deux silences. Une lame en attente, non pour frapper — mais pour rappeler que les pactes, quand ils sont brisés, laissent toujours des éclats.
Les enfants de la Maison Vesper n’apprenaient pas à sourire. On leur enseignait à tenir la tête haute, à garder les mains jointes, à respirer comme des statues. Dans les corridors sombres du manoir familial, les tapis étouffaient les pas et les voix. Le bois sentait la cire et l’encre, la pierre exhalait le froid d’un tombeau où l’on déposait non des cadavres, mais des héritiers en devenir.
Seraphiel était le premier‑né. L’aîné. Celui dont les traits fins, presque irréels, troublaient les visiteurs. Certains le surnommaient en secret “l’Ange de Cendres” pour cette beauté froide, cet air de créature façonnée non par la tendresse mais par le devoir. Sa mère, une femme douce et brisée, osa un jour lui caresser la joue. Son père la rappela à l’ordre d’un regard. Un juge ne devait pas être aimé. Un juge devait être craint.
Il comprit très jeune que son nom n’était pas un droit mais une dette. Et qu’un jour, cette dette serait réclamée en entier.
À treize ans, on le conduisit dans la Chambre des Serments. Le vieux tome des pactes, relié de cuir craquelé, l’attendait sur l’autel. Il posa ses doigts encore maigres sur la couverture, et sa voix s’éleva, claire, presque trop douce :
« Je ne serai plus visage, ni nom. Je ne serai plus désir, ni peur. Je serai silence et fin. »
On abaissa le casque noir sur sa tête. Aucun ornement. Aucun œil visible. Juste un cercle brisé gravé sur la tempe gauche. Et avec ce geste, Seraphiel cessa d’exister. Ne restait plus que Circulus, un spectre de justice qui ne rendait plus de comptes à personne — sauf au Pacte.
Ce fut une affaire banale qui brisa tout. Une fille d’esclave accusée de blasphème contre le Pacte Infernal. Dossier simple. Mort simple. Mais quand elle se tint devant lui, elle ne pleura pas. Elle ne supplia pas. Elle resta droite, avec ce regard obstiné de ceux qui n’ont plus rien à perdre.
Pour la première fois, ses mains tremblèrent sous le poids du gantelet. Il demanda une nuit. “Pour considérer les circonstances.”
Ses pairs lui offrirent une “réparation” : juger publiquement un noble félon, masque levé. En réalité, une exécution symbolique. De lui. Le matin venu, Seraphiel gravit les marches du tribunal. Mais au lieu de prendre place dans la chambre noire, il déposa son casque sur la première marche. Le bruit de l’acier sur la pierre résonna comme un glas. Puis il tourna le dos.
Le monde le crut mort. Mais il vivait encore. À Absalom, il loua un bureau dans une ruelle discrète. Pas d’enseigne. Seulement une porte gravée d’une plume croisée d’une lame. Il y ouvrit une agence légale neutre, un havre pour les causes perdues.
Avelyn Myrr, la fille d’esclave qu’il avait sauvée, l’avait suivi. Non par dette, mais par choix. Elle gérait ses affaires, consignait chaque sentence dans un registre d’encre rouge. Entre eux, pas de maître, pas de servante. Seulement deux âmes qui, chacune à leur manière, avaient échappé à des chaînes.
Seraphiel souriait désormais plus souvent. Un sourire calme, presque charmeur. Mais derrière ses yeux gris pâle, on pouvait encore voir le masque qu’il n’avait jamais vraiment déposé.
Peut-être par fatigue, peut-être par dépit, il finit par rejoindre une guilde à Absalom, Pas pour l’or. Pas pour les causes. Pour la même raison qu’il se lève chaque matin : s’assurer que quelqu’un, quelque part, se souvient de ce qui a été promis.