Asha est une humaine grande et robuste. Sa peau beige est marquée par des rides naissantes sur son visage tandis que ses yeux noisette donnent une impression de douceur comme le regard d'une mère. Sous son voile de nonne blanc s'échappent quelques mèches rebelles blondes. En contraste, son armure de plate est d'un acier noir sublimé par quelques filigranes dorés semblables à des feuilles et des plumes. Elle porte un insigne reconnaissable d'un régiment militaire du Taldor ainsi qu'une ceinture cléricale en tissu vert. Enfin, Asha tient un bâton rafistolé en bois décoré de colifichets en plumes de corbeau, qu'elle semble utiliser pour marcher. Sa démarche et sa posture sont rigides, à l'opposé de son expression faciale empreint d'empathie.
Oppara, ville autrefois rayonnante, aujourd’hui décadente. C’est ici que vivait une petite fille blonde, silencieuse mais rêveuse. N’ayant pas de parents, elle ne possédait que son prénom : Asha. Déposée sur les marches d’une discrète chapelle d’Andoletta alors qu’elle n’était qu’un tout petit nourrisson, emmaillotée dans un linge épais et doux, l’enfant fut recueillie par les membres bienveillants de l’orphelinat du Cœur Paisible. Un foyer chaleureux et paisible, mais discipliné. Les enfants y trouvaient un toit, des repas, un lit, ainsi qu’un enseignement religieux dans une routine stricte rythmée dans les prières, les corvées et l’apprentissage des valeurs de la Grand-Mère Corbeau.
La devise des sœurs qui le tiennent est :
« La bonté sans rigueur n’élève pas. »
La directrice de l’établissement était une humaine âgée d’une soixantaine d’années, Mère Kaelith une femme douce, mais ferme. Elle traite chaque enfant comme le sien, les voyant comme des âmes tourmentées mais dignes de sa protection. L’éducateur principal, Frère Aemond, était un elfe particulièrement doué dans la magie, il utilisait ses sortilèges autant pour illustrer ses cours que pour garder la paroisse du moindre danger. Le culte d’Andoletta n’était pas vraiment officiel dans la capitale taldane, mais il était toléré car il prenait soin des laissés pour compte.
Les quais d’Oppara fourmillaient de soldats en transit, de marchands, de réfugiés et de colporteurs d’histoires. Vers 12 ans, lors d’une sortie de l’orphelinat, Asha croise une vieille diseuse de bonne aventure pendant une foire sur les quais. La foule couvrait les rues, rendant les petites échoppes et modestes stands invisibles pour la plupart, ce qui n'empêche pas Asha de venir tenir compagnie à cette étrange femme âgée. Cette dame, probablement ivre, ou droguée au vu des épaisses fumées d’encens ou d’autre chose, sort légèrement de sa torpeur à l’approche de la gamine.
— Ta pitié ne m’intéresse pas petite, va-t'en. La vieille balaie l’air d’une main.
— Mh… Vous avez l’air seule, ça me fait mal de vous voir ainsi. Répond Asha.
— C’est parce que je ne suis d’aucune utilité pour eux. Et puis ça ne me dérange pas, au moins j’ai la paix. Tu devrais aller t’amuser ailleurs, profites-en pendant que tu le peux… La vieille se rallonge après avoir inspiré longuement un produit douteux.
— Comment ça “pendant que je le peux” ? Asha prend un tabouret pour s’y asseoir.
— Euh…je sais plus… Elle marque une pause. T’as l’air d’un poisson…
— Un…poisson…?
— Un poisson. Qui vole…? Parce que… Les poissons, ce sont des oiseaux. Ou alors c’est l’inverse. Enfin, tu vois : les oiseaux, ils plongent dans l’eau pour pêcher le poisson… Du coup… Eh bien le poisson après, il vole. C’est magnifique, même s’ils sont en train de mourir du coup.
— Je…je suis perdue là, je ne vous suis pas…
— Moi non plus petite…moi non plus… La vieille soupire. Tu sais au début…nous sommes tous des oiseaux. On a de belles plumes…on vole super haut dans le ciel, à en faire rougir les dieux. Et puis un jour. Elle mime comme un ‘pouf’ avec ses mains. On devient des poissons… Puant, suintant d’échecs dans la vie. Est-ce que les oiseaux qui plongent trop souvent dans la mer se transforment au final en poissons ? Ou avions-nous l’impression d’être des oiseaux alors qu’on suffoquait dans les airs, emprisonné dans leurs becs ?
— Je ne comprends pas du tout où vous voulez en venir, mais j’ai surtout la sensation que c’est déprimant…
— Ne sois pas un poisson, petite fille. Les puissants…ne regardent pas vers le bas…mais vers le haut.
— Je…Mhm, entendu, je ne deviendrai pas un poisson. Asha hoche la tête.
— Ouais…c’est bien…mhh…
— Donc je dois regarder vers le haut ? Se demande l’enfant.
— Mais non imbécile !
— M-mais-...
— Toi t’es pas comme eux ! Tu regardes devant toi…tout droit… C’est pas donné à tout le monde, crois-moi ma petite.
— Euh…d’accord…si vous le dites…
— Bien. Maintenant donne-moi une brioche.
Asha offre le restant de sa brioche à la vieille dame, non sans se boucher le nez au passage.
— Brave fille. Maintenant dégage. Oust !
La petite Asha quitta la tente de la vieille dame, inspirant religieusement l’air pur de l’extérieur. Lorsqu’elle se retourna pour s’assurer que l’aînée va bien, elle n’était plus là. La tente était plongée dans le noir, sans aucune trace de cette diseuse de bonne aventure.
Asha étudia sérieusement durant toute son adolescence avec l’aide précieuse des Frères et Sœurs de l’orphelinat, que ce soit financièrement ou par mentorat privé. À 18 ans, cherchant un but concret, elle rejoignait les rangs militaires du Taldor en tant qu’aide-médecin. Frère Aemond semblait peu à l’aise à cette idée, mais salua l’altruisme et la compassion d’Asha dans un milieu aussi dur et mortel. Il s’occupa personnellement de former son acolyte sur les bases des premiers soins et comment pratiquer la chirurgie sur les plaies. La jeune demoiselle était particulièrement attachée à l’elfe. Elle ne voyait pas en lui un parent, mais un grand frère sur qui l’on pouvait compter et en qui se confier. Sachant qu’elle devrait bientôt quitter l’orphelinat, Asha profita de chaque journée avec sa famille de cœur comme si c’était le dernier. Le jour fatidique de son déploiement arriva, laissant derrière elle la petite fille du passé, se consacrant désormais à la jeune soldat faisant face et marchant vers l’avenir. Les années suivantes ont été teintées du sang de ses camarades, des échecs d’aventuriers et des victimes de la nature capricieuse. Elle pansa, recousu, mais perdit bien plus qu’elle ne put sauver.
Asha et son escouade étaient coincées durant une rixe officieuse sur la frontière entre le Taldore et le Qadira. Les premières lignes se réduisaient à une vitesse inquiétante alors que les soldats périssaient. La discipline des rangs fit place au chaos de la bataille, finissant par isoler l’unité dont faisait partie la jeune conscrite. La faim et le froid, cumulés au désespoir grandissant, tuaient les esprits vaillants avant leurs corps. En alerte pour ne pas se faire surprendre par les patrouilles ennemies, personne ne pouvait trouver le sommeil. Asha était trop déshydratée pour verser des larmes, elle ne pouvait qu’observer ses compagnons s’éteindre les uns après les autres. Les charognards rôdaient autour d’elle, les croassements des corbeaux résonnaient comme des rires moqueurs. Comme si les oiseaux lui parlaient, leurs voix la condamnaient sur ses erreurs, sur ses échecs. Même son arme faisait peine à voir : jadis un robuste marteau à deux mains, lourd et dévastateur, il n’en reste désormais plus qu’un simple manche en bois brisé. Une corneille se posa sur le bâton en silence, point de croassement, point de regard pour une carcasse, juste un moment de contemplation sur l’humaine. Était-ce un signe ? Ou alors une hallucination ? Asha était persuadée d’être devenue folle. Il était plus rassurant de croire qu'un cadavre l’insultait que d’accepter la solitude au milieu de son unité décimée. Plusieurs jours plus tard, Asha fut retrouvée juste à temps par une équipe de secours. Cette proximité avec la mort imminente laissa une cicatrice douloureuse et indélébile dans son esprit.
Marquée par son expérience, Asha pris la décision de quitter l’armée. Elle retourna à l’orphelinat du Cœur Paisible, cherchant le réconfort de la nostalgie de son foyer de toujours. Un passé où elle souriait innocemment, un lieu chaleureux et calme comme son enfance. Les prêtres d’Andoletta comprenaient son traumatisme et l’accueillirent à nouveau avec compassion et amour. Frère Aemond lui apporta le réconfort dont elle avait besoin, une guérison lente pour son esprit meurtri. Asha se porta volontaire pour aider Mère Kaelith à tenir l’orphelinat. Elle se convertit totalement à Andoletta et finit par devenir une clerc de son ordre, aux côtés de ses mentors. L’ancienne soldat canalisa sa souffrance et son expérience en leçons de vie qui contribuèrent à forger sa foi, ainsi que ses vœux : protéger les enfants et les anciens, ceux qui sont le plus vulnérables.
À 35 ans, soit une dizaine d’années après son départ de l’armée, Asha se sépare à nouveau de son foyer. Apaisée, elle laisse l’orphelinat entre les mains des nouvelles Sœurs et nouveaux Frères d’Andoletta, gardiens des prochaines générations d’orphelins d’Oppara. Asha souhaite trouver un but, un nouveau sens à sa vie. Le Taldor, empire englué dans sa corruption et son militarisme stérile, lui paraît étouffant. Sa simple voix ne suffira pas à faire changer les choses. Une guilde d’aventuriers représente l’opportunité de voyager, d’agir concrètement et de potentiellement influer sur la géopolitique. Au-delà de l’orphelinat, il y a tous ceux qui sont abandonnés, oubliés, souffrant, condamnés ou perdus. Asha veut transformer ses cicatrices en force, et utiliser cette force pour aider cette nouvelle famille en devenir.
Asha du Taldor, elle est une prêtresse forgée dans la discipline d’un empire militaire, adoucie par la compassion d’Andoletta, marquée par la folie de la guerre. Une femme au regard sévère, mais au cœur bienveillant, brûlant de protéger ceux qui ne peuvent se défendre seuls dans la vie, comme dans la mort.